Des pages et des mots
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MES TEXTES

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Le petit garçon, le menton reposant au creux de ses bras a deviné la menace. Son cerveau est en éveil, prêt à lui donner l’ordre de s’enfuir.

- Je t’avais dit qu’il f'allait les empêcher de passer par là !

- Je ne les ai pas vu et puis c’est pas grave !

- Comment pas grave ! Je ne veux pas qu’ils passent par là et puis c’est tout !

Depuis qu’il est devenu propriétaire de cette vieille maison en bordure de la rivière, il refuse que les pêcheurs passent sur son terrain.

Ses mains s’abattent soudain sur la table. La cendre de sa cigarette s’écrase lentement sur le sol.

La scène qui s’est déroulée ce jour-là n’est plus importante, ni plus justifiée qu’à l’habitude, mais peut-être plus intense parce que contrairement aux fois précédentes elle n’était pas publique, mais ne concernait, par hasard, que son épouse et son petit garçon. Le motif de ses crises est la plupart du temps futile ou incompréhensible pour l’extérieur. Il faut souvent deviner ces raisons. Il suffit d’un mot, d’un courrier, d’un retard, d’un regard pour qu’aussitôt ses doigts courts et gros, tels des bâtons de bois couvert de nœuds, se crispent et laissent apparaître des crevasses sombres. ces mains,telles des animaux fantastiques sont semble-t-il en permanence sur le qui-vive et paraissent conscientes de leur pouvoir et en abusent.

Vincent est petit, trapus, les cheveux châtains et bouclés. Son abord est toujours facile, aisé et on peut même dire que sa compagnie était recherchée surtout dans son milieu professionnel  où il excelle et il faut reconnaître que ses qualités sont nombreuses et variées.

Il est capable de jouer de tous les instruments de musique sans avoir aucune notion de solfège et il est capable aussi d’imposer des concerts improvisés lorsqu’il reçoit ses amis et ce jusque tard dans la nuit. C’est ainsi qu’il est perçu et peu de personnes peuvent s’imaginer que ce cache en lui un personnage bien différent, un personnage qui peut en quelques secondes devenir quelqu’un de méconnaissable.

Il semble dépendre d’un équilibre dont il sait à l’avance qu’il ne saura le gérer. Si l’on ose, on peut lire dans la tristesse de ses yeux cette lutte qu’il  sait par avance perdue. La violence du basculement est à la hauteur de cette lutte. Et plus il lutte, plus l’abandon est dévastateur et semble dans son amplification progressive lui apporter le soulagement dans le report des conséquences de cette défaite sur son entourage. Et ces conséquences se caractérisent par une violence faite de mots et de gestes d’autant plus effrayant qu’ils sont tournés vers une famille fragilisée, conditionnée par la fréquence des crises de plus en plus rapprochées.

L’homme aux mains avec des gros doigt lance celles-ci en direction de femme courbée devant la cuisinière. Il lance ses mots comme s’il s’agissait de projectiles qu’il veut le plus blessant possible. Il remplit son verre et boit d’un trait, laissant échapper une goutte de liquide qu’il essuie d’un revers. Il se lève d’un bond et frappe dans la porte vitrée du buffet. les morceaux de verre explosent dans la cuisine attisant sa rage. Il tape dans la deuxième porte. Les assiettes et les verres se répandent au sol.

- Je suis chez moi ! hurle-t-il. Et si je ne suis pas chez moi, je vais brûler tous les papiers !

Il ouvre le tiroir du buffet dévasté et s’empare des papiers du foyer et les jette dans la cuisinière à bois.

Le petit garçon voudrait bouger, mais il n’ose pas, il est le spectateur immobile et craintif d’un spectacle qu’il ne comprend pas. Il ne peut cependant détacher son regard de l’homme au visage devenu blême, aux yeux perçants à demi-clos. Au fond de lui-même, il se dit que plus tard, quand il aura grandi, il ne laissera plus à cet homme la liberté de terroriser, de crier, de menacer. Mais en attendant il ne peut que subir cette violence qui arrive toujours subitement, sans motif, comme une bourrasque en hiver. Elle surprend et fige sur place. Elle ne donne pas le temps de se préparer, de se réfugier pour attendre la fin de l’orage, au contraire elle se propage et contamine toute présence. Car il lui faut pour se développer, atteindre des victimes innocentes, sans défense. Aujourd’hui, le petit garçon et la femme courbée sont les cibles de la colère de l’homme aux gros doigts et il n’entend pas les relâcher sans avoir expulsé tout son mal-être, tout son déséquilibre.

Puis il se calme. Un silence incertain s’installe, un silence angoissant qui dure de longues minutes. L’homme aux gros doigts tremble, les yeux baissés. la lassitude se lit sur son visage.

Le petit garçon se risque à lever la tête, il a compris que l’orage était passé.

Brusquement, l’homme se lève et sort en claquant la porte.

La femme courbée continue sa tâche comme si rien ne s’était passé, tandis que le petit garçon s’approche d’elle.

Daniel Valdenaire

DIALOGUE :

 Reproduction de Ecrivain public marocain de Delacroix Eugène

 

-    Bonjour Monsieur, asseyez-vous.

-    Heu….

-    Oh ! Pardon, je vais vous chercher une chaise.

-    Merci…

-    Voilà, mettez-vous à l’aise. Avez-vous trouvé facilement ?


-    Oui, oui, pas de problème, je connais bien le quartier.


-    Bon, il faut que vous sachiez que vous êtes mon premier client, il faudra me pardonner si…


-    Il faut bien commencer, n’est-ce pas ?


-    Oui, après tout. Dîtes-moi ce que qui vous amène. Mais, mais je vous en prie, mettez-vous à l’aise, vous pouvez ôter votre veste.


-    Oui, mais…


-    Mais oui, donnez- là moi. Voilà, je vous écoute maintenant.


-    C‘est à dire que vous savez, à mon âge, ce n’est pas facile.


-    Qu’est-ce qui n’est pas facile ? Ici, vous pouvez parler sans crainte. Je suis tenu au secret professionnel. Vous pouvez avoir confiance !


-    Bon, voilà ce qui m’amène, mais je ne sais pas si vous pouvez faire quelque chose pour moi.


-    Et bien dîtes-moi et nous verrons.


-    D’abord, comme vous le voyez, j’ai un certain âge. Je suis veuf depuis de nombreuses années et ces derniers temps, il m’est arrivé quelque chose que je n’espérais plus.


-    Ah ! Je vous écoute.


-    Me permettez-vous de vous poser une question ?


-    Mais bien sûr, je suis là pour ça. Vous avez trop chaud. Je vois que vous transpirez.


-    Oui, vous n’auriez pas un verre d’eau.


-    Je vais vous chercher ça. Un instant.


-    Je suis désolé, vous devez vous poser des questions à mon sujet ?


    -   Pas du tout, allez détendez-vous. Vous me disiez qu’il vous était arrivé quelque chose. Est-ce      quelque  chose de bien ou quelque chose de mal ? Oh ! Quelque chose de bien, je peux le dire. Tellement bien que je   ne sais pas comment gérer ça et c’est pourquoi je suis là. On m’a dit que étiez très gentil et à  l’écoute des  gens. C'est tellement rare à notre époque de rencontrer des gens qui vous écoutent.  


-    Vous savez, de mon temps, les gens pouvaient se confier, les gens se retrouvaient et du temps de ma pauvre femme nous recevions beaucoup, nous avions de nombreux amis, mais depuis…. Maintenant, je suis seul. Mes enfants sont éparpillés dans toute la France et ils ne me donnent pas souvent des nouvelles. Ah ! Oui ! C‘était tellement mieux autrefois. Mais je vous embête avec toutes mes histoires. Vous comprenez, ça me fait tellement de bien de vous parler. Savez-vous depuis combien de temps, je n’avais pas parlé à quelqu’un ?


-    Dîtes-moi…


-    15 Jours, Monsieur ! 15 jours. Vous rendez-vous compte. Juste un bonjour du facteur et encore quand j’ai la chance de le voir. Enfin de la voir, c’est une femme. Les femmes font les métiers des hommes de nos jours. Mais elle est gentille et quand elle m’aperçoit à travers ma fenêtre, elle me fait toujours un signe. Savez-vous qu’un simple signe suffit à réjouir ma journée ? Je ne suis pas exigeant. Mais je vous fais perdre votre temps avec mes histoires, il faut que je vous dise pourquoi je suis là. Tiens, je vois que vous avez ordinateur. C‘est pratique ces choses là. Je suis trop vieux maintenant, mais j’aurais bien aimé savoir m’en servir.


-    Il n’est jamais trop tard.


-    Où en étais-je ? Ah ! Oui, pourquoi je suis là.


-    Voulez-vous vous détendre un peu ? Ensuite, vous me direz

effectivement pourquoi vous êtes là, il est vrai que j’ai un rendez-vous après vous. Donc, vous allez me dire ce qui  vous est arrivé et je vous dirai ce que je peux faire pour vous.


-    Bon, dîtes, elle est confortable cette chaise. Bon, allez. Surtout, ne vous moquez pas de moi. Donnez-moi simplement votre  sentiment et ce que je dois faire. Je ne m’y attendais pas et d’ailleurs ça ne m’arrive jamais. Je suis toujours seul pour les fêtes de fin d’années et voilà qu’hier, j’ai reçu une carte de vœux d’une personne que je n’ai pas revue depuis ma jeunesse. Oui, vous entendez ? Depuis ma jeunesse ! C ‘était même avant ma pauvre femme. Il s’agit  d’une ancienne amie qui habite dans le nord de la France, c’est dire qu’elle est loin. Et je me demande pourquoi elle m’écrit cette année alors qu’elle ne l’avait jamais fait jusqu’à présent. Vous allez me dire que ce n’est pas un événement. Peut-être pour vous : Mais pour moi qui suis seul depuis tant d’années, vous ne pouvez pas savoir le chambardement. Je n’ai pas dormi de la nuit ! . Depuis la mort de ma pauvre femme, je n’ai plus pensé aux femmes, mais alors pas du tout ! Et voilà qu’en quelques heures, ma vie est complètement chamboulée ! Alors voilà pourquoi, je suis là. Pensez-vous qu’il soit normal que je me mette dans cet état et surtout je voudrais que vous m’aidiez à écrire une réponse. Depuis le temps, comment voulez que je sache encore comment on s’adresse à une femme. Me comprenez-vous, Monsieur ?


-    J’ai parfaitement compris, mais votre situation n’est finalement pas si compliquée que cela. Si, je comprends bien  vous voulez que je vous aide à écrire une réponse à cette dame ? Mais à mon tour, me permettez-vous de vous poser une question, qui n’est pas un jugement, rassurez-vous. Pourquoi donnez-vous une telle importance à cette carte de vœux ? Quelle importance cette femme a pour vous ? Cette carte a-t-elle fait ressurgir des sentiments envers elle que vous aviez enfouis au fil des années ou tout simplement vous voulez faire une réponse de politesse. Si vous me permettez de vous donner mon avis, je perçois chez vous une certaine fébrilité qui pourrait ressembler à un sentiment amoureux. Je n’exagère pas ?


-    A vrai dire, cette femme je l’ai beaucoup aimée. Attention, c’était avant ma femme ! Je n’ai jamais trompé ma femme, même en pensées ! Mais voilà, cette carte de vœux, cette écriture, ces quelques mots m’ont bouleversé, vous avez du vous en rendre compte. C‘est peut-être ridicule, mais c’est comme ça. Alors que faut-il que je fasse ?


-    Écoutez, je pense qu’il faut lui répondre dans un premier temps assez sobrement, mais en laissant entendre que vous souhaitez continuer une correspondance. Lui répondre de façon plus passionnée risquerait de la surprendre.  Qu’en pensez-vous ? Ou alors peut-être voulez-vous vous risquer à une invitation à la recevoir ? Personnellement c’est assez risqué….


-    Finalement, je crois que c’est trop compliqué, je ferais mieux de ne pas répondre. Oui, mais ça ne serait pas poli….


-    Mais si, mais si, allons, il ne faut pas vous décourager si vite. Je crois qu’il vous faut prendre du temps. Vous avez peut-être réagi trop vite. Vous savez en matière de sentiments, il vaut mieux, même si cela paraît difficile, prendre le temps de la réflexion. Qu’en pensez-vous ?


-    Oui….


-    Allez ! On fait comme ça. D’abord une réponse sobre et ensuite nous verrons s’il faut donner une suite. D’accord ? Bon, je dois recevoir mon rendez-vous suivant. Surtout n’hésitez pas à revenir, je suis à votre disposition. Allez, au revoir.

Daniel Valdenaire le 20 janvier 2009

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